⛷️ Quel avenir pour le ski en France ? Les solutions et la réalité du terrain
Les sports d'hivers sont-ils condamnés ? C'est ce qu'on va voir ensemble dans ce dossier où se mêlent environnement, économie et tourisme.
⌛ Temps de lecture : 10 minutes, un peu plus avec les sources
🔍 Ce que tu vas découvrir dans ce numéro :
L’état des lieux du ski en France et son impact sur l’environnement
La fiabilité des solutions actuelles
Des pistes de reconversion
Quelques entreprises et assos qui s’engagent pour préserver la montagne
Le ski est ma plus grande dissonance.
En quelques années, j’ai réussi à modérer de manière conséquente mes habitudes.
Je n’ai pas pris l’avion depuis un an et demi (malgré de nombreux voyages extraordinaires, comme quoi…), j’ai réduit de manière drastique ma consommation de viande, je n’achète (presque) plus de fast-fashion.
Pourtant j’ai toujours autant de mal à abandonner l’idée d’aller skier.
C’est ma bulle de décompression depuis que je suis enfant. C’est une madeleine de Proust qui ne perd jamais en saveur. Dès que je suis sur une piste, j’ai l’impression d’être à ma place, plus que n’importe où ailleurs.
🤓 Tu t’apprêtes à approfondir un sujet qui nous concerne tous, que tu sois skieur ou non.
De nombreux autres articles sont en accès libre sur Paradigme. Je vulgarise toutes les deux semaines des sujets actuels du tourisme et ses innovations technologiques (IA, tendances, outils, startups…)
Je compte sur toi pour partager Paradigme et inviter tous les p’tits copains du travel à s’inscrire : 🫶
Au fil des ans, plus l’hiver se rapproche, plus mes pensées deviennent un champ de bataille. En tête de liste :
Pourquoi privilégier mon loisir bourgeois à la préservation de notre environnement ?
Comment puis-je encore accepter de détruire l’habitat de dizaines d’espèces animales et terroriser celles qui sont restées dans les parages ?
L’occasion de faire le point, et de vous en faire profiter au passage :
Où en est le ski actuel ?
Un point rapide, en chiffres
Quels que soient les scénarios d'émission, les projections du GIEC mesurent une hausse de la température de 1,5 °C dès le début des années 2030… et de 2°C d'ici à la moitié du siècle.
Une situation qui engendrerait un très faible enneigement pour ⅓ des domaines skiables dans les Alpes… et 90 % des stations dans les Pyrénées.
D’après des chercheurs du CNRS, les Alpes ont perdu une trentaine de jours d’enneigement à moins de 2000 m d’altitude, entre 1971 et 2019.
À l’heure actuelle, 186 stations de ski ont déjà fermé leurs portes. Un chiffre qui paraît déjà balèze, mais à remettre en contexte puisqu’elles ne représentaient “que” 2% de l’intégralité du domaine skiable français.
Quels problèmes environnementaux posent le ski ?
D’après une étude commandée par l’ADEME, une journée de ski émettrait en moyenne 48.9kg CO2eq. En une semaine, cela représenterait l’équivalent de 30 ans de streaming vidéo, à raison d’une heure par jour.
Les causes sont multiples :
Des trajets conséquents en voiture sur de courtes périodes.
⅓ des skieurs (10M de personnes par an) sont issues de l’étranger, soit plus de 3M de touristes qui se déplacent en avion, juste pour skier.
Des logements vétustes à la location qui sont de véritables passoires thermiques avec de grosses déperditions énergétiques (et des consommateurs qui poussent le rendement pour compenser).
Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
On le sait, le ski est un sport de privilégiés, pratiqué par seulement 10 % de la population.
C’est aussi l’un des sports qui fédèrent le plus de “vrais riches”, capables de s’acheter des maisons à plusieurs millions d’euros à Megève, Courchevel et autres stations huppées pour quelques jours de vacances par an. Dans certaines zones, le taux de résidences secondaires dépasserait d’ailleurs 70%.
Et plus le temps passe, plus on construit. Plus on construit, plus on déforme la montagne.
L’artificialisation des sols est un réel danger pour les zones naturelles qui perdent à la fois en superficie et en qualité.
En France, 79% des stations sont construites sur des aires protégées. Chaque nouvelle construction d’infrastructure, chaque nivellement de piste, chaque déboisement perturbe la biodiversité et réduit l’habitat disponible pour la faune et la flore.
Le changement climatique dans les zones montagneuses (engendré en partie par les sports d’hiver) dérégule progressivement les écosystèmes et entraînent la migration d’espèces végétales et animales.
C’est d’ailleurs pour cela que j’avais eu du mal à comprendre la dernière campagne d’affichage de l’office de tourisme de Chamonix, comme détaillé ici :
Clairement, on ne peut pas dire que le ski soit blanc comme neige. Alors, peut-on encore espérer skier sans culpabilité dans les années qui arrivent ?
Quelles solutions pour sauver le ski ?
La neige artificielle, une avalanche de problèmes
Quand on parle de chimère, en voilà une belle. Si je devais résumer ce paragraphe en une phrase, je dirais que la neige artificielle revient à climatiser l’air extérieur aux Émirats. (oui, ils le font).
Concrètement, dans les Alpes Françaises, 25 millions de mètres cubes d’eau sont consommés pour produire de la neige de culture. C’est l’équivalent de la consommation annuelle de 500 000 ménages français, par an.
On pourrait se rassurer :
en prenant en compte qu’une bonne partie de cette consommation provient en fait de la récupération d’eau de pluie.
dès la fonte printanière, l’eau est rendue à la nature
💌 Si tu apprécies ce que tu lis, prends quelques secondes pour cliquer sur le bouton “j’aime”, laisser un commentaire ou partager la newsletter autour de toi : ça m’aidera à être mieux référencé. 💌
Oui, mais non. Avec l’évaporation, on évalue en moyenne la perte à hauteur de 40 %.
Quant aux retenues collinaires - ces bassins creusés pour récupérer l’eau - elles modifient en profondeur les écosystèmes d’altitude et entraînent des répercussions inévitables sur la qualité de l’eau potable disponible pour les populations de la région.
Même constat avec sa consommation d’électricité, évaluée à un peu plus de 112M de kWh, soit la consommation annuelle de 23 500 foyers français.
Les domaines skiables sans remontées : mieux que rien ?
En Italie, Homeland est devenue la première station en Europe sans remontées, ni neige artificielle.
Elle garantit aux skieurs de randonnée un domaine hors-piste de 36km², à proximité du village de Montespluga. Soit 11 pistes balisées à descendre et à remonter à la force des jambes (et des peaux de phoques).
Pour une soixantaine d'euros, on vous fournit le matériel de ski et le kit d'avalanche complet.
Les deux créateurs de Homeland se sont inspirés d'un confrère américain, le Bluebird Backcountry. Installé dans le Colorado, il fonctionnait sur le même principe et proposait un tarif dérisoire (39$ à la journée, soit une affaire quand on connaît le prix habituel des day passes aux US).
Le 10 juillet 2023, le domaine fermait ses portes. La raison ? C’est Guillaume Cromer qui vous la donne, suite à un post dédié sur ma page LinkedIn :
Certes, le ski hors-piste demande un bon niveau et une bonne connaissance de la montagne, réduisant inévitablement le nombre de candidats potentiels à ce genre d’expériences.
Mais ces solutions ne feront, à terme, que déplacer le problème.
Les meilleurs skieurs chercheront la tranquillité, la poudreuse et la sensation sauvage… pour finir par se retrouver entassés dans des petits villages de montagne en Europe qui devront s’adapter à la demande et construire en conséquence.
Sauver le ski… ou la planète ?
La reconversion des stations de ski
En réalité, le réchauffement climatique est déjà là. En se promenant au gré des petites stations de basse altitude, des reliques d’une ère révolue accueillent les touristes. Un poteau de téléski et des projets de résidences abandonnés par ici, un canon à neige rouillé là-bas.
Autour, les villages continuent à exister, sans bénéficier des retombées économiques des sports d’hiver.
Céüze, dans les Hautes-Alpes, a dû se résoudre à cesser toute activité liée au ski.
Même constat pour Granier ou Notre-Dame de Pré, comme raconté avec brio dans le média “basta”.
Ailleurs, le combat continue.
Les stratégies sont variées. Parfois, les promoteurs continuent de construire, probablement aveuglés par la course à la rentabilité et l’horloge qui tourne.
(Qui se rappelle le projet Ski-Line, avancé par Tignes ? La station promettait une piste de 150 mètres sous dôme, classée rouge, accessible toute l’année. Le projet est resté sans nouvelle, peinant à trouver des investisseurs locaux*).
Souvent, les stations acceptent de tourner la page et d’embarquer pour une nouvelle aventure.
Métabief est devenu l’une des figures de proue de cette réorientation.
Plutôt que de courir après la neige et de dépenser des dizaines de millions d’euros dans un futur hypothétique, le Syndicat Mixte du Mont d’Or, en charge de la gestion de la station, a fait le choix d’envisager la fin du ski alpin d'ici à 2035.
Les territoires s’interrogent sur leur capacité à réinventer les loisirs à la montagne. Un sujet dont nous parlait Thimothée du Peloux, fondateur de Coucou de France, dans un précédent numéro de Paradigme :
Dans le Massif central, dans le Jura, dans les Pyrénées, les activités toutes saisons fleurissent. Les luges d’été ont pignon sur station, les tyroliennes défigurent les flancs de montagne et les VTTs électriques trouvent de plus en plus de racks disponibles dans les enseignes de location.
À Valdrôme, fermée depuis 2015, l’astronomie et la rando ont succédé au ski. En Autriche, la commune de Sankt Corona am Wechsel a remplacé ses tire-fesses par des remontées dédiées aux vélos.
👍 L’avantage ? La transition en est au commencement… et les alternatives durables semblent nombreuses.
👎 Le désavantage ? La transition en est au commencement… et aucun modèle économique viable n’a pour le moment été avancé.
💌 Écrire ces articles me demande du temps de travail et de l’implication. Tu aimes ce que tu lis ? Partage Paradigme autour de toi 💌
Sauver nos hivers : les projets porteurs d’avenir
La fracture est réelle. Entre projets financiers et réalité du terrain, les dissensions se multiplient parmi les montagnards.
Dernier exemple en date : les longues manifestations qui ont accompagné tout le projet de construction d’un téléphérique au glacier de la Girose, près du massif hors-piste de la Grave, censé remplacer un vieux téléski particulièrement dangereux pour l’écosystème local.
Du côté associatif :
Aujourd’hui, des communautés d’amoureux des sports d’hiver et de la montagne se sont regroupées pour tenter d’alerter et de trouver des solutions pérennes, comme :
Protect Our Winters : ils ont notamment développé un outil, proposé par plus de 110 stations partenaires, permettant de réserver un séjour à la montagne en mobilité douce. L’association existe dans le monde entier depuis 2007 (2015 en France) et rassemble 160 000 adhérents, dont 100 athlètes professionnels internationaux réunis au sein de la Rider Alliance. Ils collaborent régulièrement avec des marques bien établies comme The North Face, Picture ou Arc’teryx et avancent aux côtés de stations de ski emblématiques à l’instar des Gets ou de Tignes.
Mountain Wilderness : engagée pour une montagne authentique et préservée, l’association milite au quotidien pour des espaces vivants et tournés aussi bien vers leurs habitants à l’année que leurs visiteurs occasionnels. Retour du silence en montagne avec l’interdiction des loisirs motorisés, encouragement d’une économie montagnarde respectueuse de l’Homme et de l’environnement et d’alternatives touristiques plus douces, nettoyage des installations obsolètes en montagne… les campagnes menées sont multiples. On retrouve aussi la question de la mobilité douce avec le développement de changerdapproche, ouvrant la voie à plus de 15 000 itinéraires de montagne accessibles en transports en commun.
Du côté business : le ski reconditionné, le design et le skiwear
Comme dans de nombreux autres domaines, le reconditionné a fait son apparition dans les équipements de ski.
En France, 500 000 paires de ski sont jetées chaque année. Quand on fait le ratio avec le nombre de skieurs de l’Hexagone, (soit une paire sur 12), c’est assez fou.
Certaines entreprises malignes ont appris à contourner le problème, entre économie circulaire et technologies avancées :
SkiTEC imagine du mobilier durable à partir de paires de ski usagées, en pleine trend de l’upcycling.
De nombreux sites se sont reconvertis dans la vente de skis d’occasion, comme La Bourse Aux Skis, Ski d’Oc, Campsider, Top’N Sport.
Des marques engagées comme Faction (🖤) ou Picture (🖤), toutes deux certifiées B Corp, proposent du matériel et des affaires de ski de haute qualité, basées sur la durabilité. Par exemple, l’intégralité de mes affaires (hors skis et pantalons) est garantie à vie et réparable gratuitement.
La réalité est simple et brutale : le ski ne peut pas être une activité compatible avec la sobriété énergétique et la préservation environnementale.
Il faudrait modifier les stations au niveau structurel, de la conception des logements à l’alimentation des remontées… pour tenter de préserver une activité à l’avenir plus qu’incertain.
Si le ski de randonnée et la mobilité douce se positionnent en sorties de secours, je doute qu’elles suffisent.
Tant qu’aucun modèle économique viable n’existe pour pivoter vers des montagnes “4 saisons”, la course à la rentabilité hivernale continuera d’exister.
💡 Il existe peut-être des solutions miracles dont je n’ai pas connaissance.
Si tu en as entendu parler, je t’invite à les partager en commentaires.
Dans tous les cas, je te laisse me dire ce que tu en penses. Que tu sois optimiste pour l’avenir du ski, acteur du secteur en quête d’alternatives ou même rassuré d’entrevoir le début de la fin de ce loisir énergivore, ton avis est le bienvenu en commentaires.
🫶 Merci à toi de me lire deux fois par mois !
On se retrouve très vite pour un nouveau numéro de Paradigme. Le prochain numéro sera un peu plus marketing.
🤓Je n’ai pas encore décidé du sujet, mais il y a de fortes chances que je te livre de nouveaux tips pour améliorer la communication de ton entreprise du tourisme.
Sur ce, je ferme mon ordi pour une semaine de vacances !
A ciao bonsoir,
Théo
* Merci à Eric pour la précision en commentaires. Comme lui, n’hésitez pas à compléter ou à enrichir cet article de vos propres connaissances 🧐
Bonjour,
Le Ski-Line de Tignes a été abandonné non pas en raison d'une levée de boucliers, mais parce que l'équipe municipale qui en avait fait un de ses arguments électoraux n'a pas trouvé d'investisseur pour les 70 millions prévus pour cette hérésie.
Concernant Valdrome, la fin de l'activité hivernale a été décidée pour faire des économies budgétaires au niveau du Conseil Départemental qui gérait le site (qui est sans hébergement). Les rencontres d'astronomie y ont lieu depuis 2004.
Pour Métabief, ils ont acté le fait qu'il fallait réorienter leurs investissements. Les acteurs locaux n'arrêtent pas le ski pour le moment, mais ils privilégient d'autres investissements que ceux orientés pour le ski.
Le monde du ski m'est complètement étranger. Mes parents ne skiaient pas, moi non plus. La seul fois où j'en ai chaussés, c'était dans le cadre d'un stage organisé par le kayak-club de Metz, parce qu'en février, difficile d'aller sur l'eau, mais qu'il fallait garder la forme. C'était du ski de fond, dans les Vosges, je crois. J'en garde le souvenir d'une vraie galère et de rentrer affamée au gîte chaque soir. À 16 ans, je me suis pourri les genoux, donc le ski n'a jamais été une option pour moi, et d'ailleurs, l'univers ne me séduit pas beaucoup. Pendant deux étés en 2019-2020, j'ai rendu visite à une amie gestionnaire d'un hôtel au milieu des pistes en Suisse. L'hiver, c'était blindé. En été, on été quelques familles à randonner dans la région et faire des jeux de société dans la grande salle avec vue sur les montagnes. Les cicatrices laissées par les pistes me choquaient. Le chantier d'un lac artificiel devant servir de réserve pour alimenter des canons à neige en hiver, avec toute sa laideur et la poussière qu'il soulevait, m'a franchement scandalisée et fichu les boules. Je ne m'y connais pas, mais est-ce qu'il n'y aurait pas des activités d'hiver plus douces ? Comme les raquettes ? Le ski de fond est-il aussi nocif pour l'environnement que le ski de piste ? Ton article était en tout cas très intéressant, j'aime bien découvrir de nouvelles initiatives plus respectueuses de l'environnement, quel que soit le domaine.