"Il n'y a pas que les TGV dans la vie" ou comment améliorer le voyage en train (interview)
Paradigme invite Victor et Gwénaëlle, fondateurs de voyagerentrain.fr. Business model, topo du train en France et à l'étranger... c'est l'interview du mois !
Temps de lecture : 5 minutes, un peu plus avec les sources
🔍 Ce que tu vas découvrir aujourd’hui :
La vision positive de deux entrepreneurs du tourisme
Leur regard sur l’avion
La situation du train en France (freins, accessibilité, concurrence, intermodalité…)
De belles idées pour créer le train du futur
Leur prochain séjour en train (ça dépote !)
Depuis la fin du COVID-19, tout le monde parle de mobilité douce.
Mais avant Bruno Maltor et les autres plateformes spécialisées, Victor et Gwénaëlle ouvraient déjà la voie du tourisme ferroviaire en 2019.
En tant que consommateurs, on ne va pas se mentir : voyager en train reste nébuleux. Entre les grilles tarifaires qui changent d’une région à l’autre, le prix des billets qui double dans la nuit et la concurrence transparente, il est difficile de s’y retrouver.
Dans mon cas, j’ai souvent le même réflexe : ouvrir SNCF Connect et prier les dieux du rail de m’accorder des billets qui ne coûtent pas un demi-loyer.
Si les deux trentenaires ont créé voyagerentrain.fr, c’est précisément pour tenter de gommer ces mauvaises habitudes. L’objectif ? Accompagner les utilisateurs vers un parcours d’achat efficace et l’adoption massive d’un moyen de transport encore trop (injustement) mal-aimé.
Depuis 2019, leur site a bien progressé. Encore mieux, il s’est décliné en deux ouvrages : Voyager en Train et Voyager en Europe. De quoi vous aiguiller sur :
Actus et bons plans : payez moins cher, voyagez mieux
Conseils : guides de voyage pour tous les profils
Destinations : itinéraires et séjours clés en main
🤓 De nombreux autres dossiers du tourisme sont en accès libre sur Paradigme.
Je vulgarise toutes les deux semaines des sujets actuels du travel et ses innovations technologiques (IA, tendances, outils, startups…)
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🎙️ Quel est votre business model ?
💬 Aucun. Nous n’avons pas créé Voyager en Train pour des questions de rémunération. En fait, on se posait plein de questions auxquelles on n’avait pas les réponses. On se devait de les rendre accessibles. Voyager en Train a été créé pour démocratiser ce mode de transport.
On travaille en toute indépendance de la SCNF ou autres compagnies ferroviaires.
Désormais, on génère des revenus avec de l’affiliation sur de la vente de billets. Et aussi grâce à la vente de nos livres. Aujourd'hui, voyagerentrain.fr est devenu notre activité principale. Mais on est surtout fiers d’avoir réussi à allier notre loisir à notre travail."
🎙️ Comment arrivez-vous à vous démarquer de la concurrence, comme Hourrail ou Mollow ?
💬 Ce ne sont pas des concurrents. Au contraire, on est plutôt contents de voir que d’autres acteurs sont arrivés sur le secteur.
Ils sont arrivés avec une stratégie social media solide, parfois basée sur des communautés construites sur de longues années*.
Nous, on s’est contentés de notre blog avec des entrées régulières et des mécaniques de référencement. Notre compte Instagram ne date que de 2023.
Grâce aux réseaux sociaux, ils ont bénéficié d’une visibilité énorme sur une cible plus jeune. Tant mieux pour eux et pour l’image du voyage en train.
En fait, on travaille des cibles différentes et des leviers différents. Voyager en Train a une approche beaucoup plus familiale.
*NDLR : Benjamin Martinie, alias @Tolt, était très suivi sur Instagram avant le lancement de Hourrail
🎙️ En 2019, vous avez fait le choix d’arrêter de prendre l’avion. Quel a été votre cheminement ?
💬 Nous sommes nés à la toute fin des années 80. A cette époque, on faisait déjà attention aux petites choses, mais sans avoir de vision d’ensemble.
En 2019, on a commencé à creuser le sujet. On s’est rapidement dirigés vers le 0 déchet. Mais plus on creusait, plus on se rendait compte qu’on n’en faisait pas assez.
On a été de plus en plus loin dans notre démarche. Le déclic s’est produit dans un avion, en direction de la Suède. On n’arrivait plus à lui trouver de sens.
Le calcul de notre bilan carbone a tout accéléré : 20% de notre empreinte était liée à l’avion.
Pour l’anecdote, Victor a eu plus de mal à arrêter de prendre l’avion que d'arrêter de manger de la viande.
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🎙️ Quels sont les freins de l’adoption du train aujourd’hui ?
💬 On voit trois problèmes :
La méconnaissance : on a oublié - ou on ne sait pas - qu’on peut se rendre à plein d’endroits différents en train.
Dans l’imaginaire des voyageurs, le train ne dessert que les régions des alentours ou l’aéroport le plus proche. Pourtant, les offres sont pléthoriques pour découvrir facilement la France et les pays européens. On aime répéter que voyager en train, c’est prendre son temps sans perdre son temps. Quand on monte à bord, on est déjà en vacances. Le trajet est tout aussi important que l’arrivée.
Le prix : on dit tout le temps que le train est cher. C’est parfois vrai, souvent non.
Dans le cas de l’avion, il faut prendre en compte les transferts à l’aéroport ou le surcoût des bagages. Récemment, nous avons payé cher nos billets de train au départ de Rennes vers Strasbourg, avec un arrêt en gare de l’aéroport Roissy-CDG. Quasiment l’intégralité du train s’est vidée à l’aéroport. Ces pratiques se répercutent aussi sur le prix.
Organiser son voyage en train en France est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est une vraie jungle tarifaire, avec beaucoup d’offres et de cartes de réduction qui existent. Les voyageurs passent souvent à côté.
Les imaginaires de voyage : tant qu’on se dit qu’il fait plus froid en janvier en France qu’au Maroc ou aux Canaries, ce sera difficile d’avancer. Il faut savoir apprécier les saisons et profiter de chacune d'elles, comme pour les fruits et les légumes.
Attention, nous ne sommes pas opposés à l’avion, souvent utile pour les grandes occasions. Ce qu’on déplore, ce sont surtout les campagnes de communication low cost pour partir à l’étranger lors d’un week-end.
🎙️Comment le train peut-il se rendre plus accessible ?
💬 Pour payer moins cher, il existe de nombreuses astuces. N’escomptez pas trouver la grille tarifaire des prix dynamiques de la SNCF. Elle doit être verrouillée dans un coffre-fort. Pour payer moins cher, prendre à l’avance.
En revanche, gardez en tête qu’il n’y a pas que les TGV dans la vie.
Les OUIGO Train Classique sont un peu plus longs mais permettent des trajets en France ou même vers la Belgique pour 10€.
N’oubliez pas d’aller voir du côté des régions. Elles ont développé de nombreux pass illimités, idéaux pour les week-end ou séjours en solo ou à plusieurs.
L’Occitanie fait ça très bien, avec une offre dédiée : l’Occitanie Rail Tour. En plus d’idées de circuits mises en avant sur leur sites et sur leur newsletter, les tarifs sont très avantageux grâce au pass ORT.
En Bretagne, le pass BreizhGo permet de voyager en illimité pendant une semaine, pour un maximum de 5 personnes, sans contrainte de jours ou d’horaires. Et ce, à 110€ en prix fixe.
Il n’y a pas assez de communication de la part des régions ou des autres instances. Par conséquent, les voyageurs n’ont pas le réflexe d’aller chercher la bonne opportunité.
On a aussi besoin d’exemples : il n’existe quasiment aucune représentation publique d’un voyage en train, que ce soit de la part des politiques ou des stars. L’avion est pratiquement toujours privilégié. Tout ce rapport doit changer, il faut rendre le train abordable dans tous les sens du terme.
Enfin, il y a un réel besoin de formation des acteurs touristiques à destination. Les offices de tourisme ne sont pas tellement formés pour les voyages en train, à l’inverse du transport routier. Ils n’ont pas assez de connaissances de leur propre territoire en ce qui concerne les endroits uniquement accessibles en train.
Avoir des offres, c’est bien. Mais il faut que le territoire suive.
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🎙️L’intermodalité est-elle assez mise en avant ?
💬 Malheureusement, l’offre d’hébergements adaptés est faible. Encore une fois, elle est majoritairement pensée pour les séjours en voiture.
Par exemple, quand on arrive à Paimpol ou à Pontrieux (en Bretagne), difficile de trouver un logement accessible à proximité de la gare.
Même chose sur la ligne Saint-Nazaire / Le Croisic. S’il est facile de se balader à vélo sur la côte ou les marais salants, il est compliqué d’aller plus loin, à moins d’aimer se faire frôler par des voitures lancées à 80km/h sur les départementales.
Si le cyclotourisme commence à se développer, il reste des efforts à faire sur l’accessibilité en train et les services dédiés aux familles. Bon courage pour trouver des carrioles (adaptées au transport de sacs ou de valises) chez les loueurs de vélo, dans les petites gares.
Il existe quand même de bons exemples :
Dans le Massif central, la ligne Vichy - Clermont-Ferrand permet de graviter dans la région. La chaîne des puys ou le parc à thèmes Vulcania sont bien connectés en bus.
Mais là encore, le modèle pourrait être amélioré. Pour rejoindre Vulcania, les bus sont gratuits le week-end* mais payants en semaine. Dommage, car les plannings sont parfaitement adaptés aux horaires d’ouverture du parc.
En revanche, le parking à voitures est gratuit du lundi au dimanche. ca crée de nouvelles frictions, qui limite le développement de la mobilité douce.
Il faudrait inverser, en rendant le parking payant et le bus totalement gratuit.
*NDLR : C’est le cas pour toute l’agglomération de Clermont-Ferrand
🎙️ Faut-il ouvrir à la concurrence ?
💬 On est pro-concurrence.
Pour les voyageurs, c’est très bien. Ça permet d’augmenter l’offre et, mécaniquement, de faire baisser les prix. Les acteurs sont forcés de créer une meilleure qualité d’offre pour rester compétitifs.
Pour l’instant, le réseau n’est pas encore très bien développé, à part sur les lignes Paris- Lyon et Paris - Marseille (à partir de juin 2025). Les concurrents restent moins coûteux, en raison de leur faible notoriété.
Si les prix d’appel sont les mêmes pour toutes les compagnies, la SNCF fonctionne en tarification dynamique. Plus les trains se remplissent, plus les prix augmentent.
Au final, on regrette qu’il n’y ait pas de plateforme de réservation unique. Trainline est peut-être la plateforme la plus large, mais elle ne recense pas les trains en Europe centrale. De fait, des frais de service sont souvent appliqués sur les réservations de billets à l’étranger.
L’astuce ? Utiliser Trainline pour comparer et acheter en direct.
😎 Ton avis m’intéresse. Fais-valoir ton point de vue :
🎙️ Avez-vous constaté de grosses différences sur la gestion des réseaux ferroviaires à l’étranger ?
💬 Voyager en train en Europe permet de se rendre compte que la France est plutôt bien lotie. Chez nous, le souci est centralisé sur certaines lignes qui font beaucoup parler, comme Bordeaux-Marseille ou Paris-Clermont. Sinon, les lignes TGV sont régulières.
Certains pays sont bien plus avancés, comme la Suisse. D’autres sont bien pires, comme l’Allemagne. Ils ont longtemps souffert d’un manque de financement, bloquant les efforts de rénovation. Même s’ils ont recommencé à injecter des sous, le réseau est paralysé par les travaux. En plus, leur réseau ferroviaire est très dense avec beaucoup de trains interconnectés, entraînant des retards.
La grande différence, c’est qu’on trouve des pass illimités un peu partout à l’étranger… et très accessibles !
Au Portugal, vous ne paierez que 20€ par mois pour prendre les trains. C’est pareil en Italie ou en Espagne.
C’est une mesure qu’on voudrait voir appliquée en France. Il nous faut un pass clair et compréhensible. L’exemple du Pass Rail en France a été emblématique de ce qu’il ne fallait pas faire, en imposant une limitation du profil d’utilisateurs et de grosses restreintes géographiques.
Côté confort, les intérieurs sont globalement standardisés en Europe de l’Ouest. D’autres pays ont su conserver cette culture du train inter-cités, comme ceux d’Europe centrale ou de Scandinavie. Vous avez encore accès à de vraies voitures-restaurants et même des trains avec des aires de jeux (en Suisse et en Norvège).
🎙️ Comment imaginez-vous le train du futur ?
💬 La technologie existe déjà. On ne veut pas de train qui aille plus vite. On imagine plutôt des efforts axés sur la convivialité.
Pour nous, le train du futur serait un train rempli de monde et d’espaces qui donnent vraiment envie d’y passer du temps.
On pourrait imaginer des salles accueillant des conférences, des wagons adaptés aux télétravailleurs ou des compartiments modulables en fonction des saisons : voitures familiales en vacances scolaires, rangements pour les skis en hiver ou pour les planches de surf en été…
⬇️ Paradigme a consacré tout un dossier au train du futur. Retrouvez-le ici : ⬇️
🎙️ Quel sera votre prochain voyage en train ?
💬 Pour les vacances scolaires de février, on part en Laponie.
Départ de Rennes vers Strasbourg. On y passe la nuit. On grimpe dans un TER pour Offenburg avant de monter à bord de l’ICE pour Hambourg.
Ensuite, on rend un train de nuit vers Stockholm. A l’arrivée, embarquement en ferry pour le port le plus à l’ouest de la Finlande, à Turku. Et enfin, un dernier train de nuit en direction de Rovaniemi.
Ce sera encore un beau départ en famille.
Nos filles (7 ans et 9 ans) adorent voyager en train. Elles ont du temps pour profiter pleinement de leurs parents. A contrario des autres modes de transport, les enfants ne sont pas attachés à leur siège. Ça facilite les choses.
Si on prenait le train pour des raisons écologiques, il est rapidement devenu notre mode de transport privilégié pour sa praticité familiale.
🎙️ Si vous deviez choisir un livre à partager autour du voyage en train ?
💬 On triche, si on fait notre publicité ? Evidemment, on conseille nos deux versions : Voyager en Train en France et Voyager en Train en Europe. Vous pouvez les acheter sur notre site Internet ou les commander dans toute les librairies.
Merci encore à Gwénaëlle et Victor de voyagerentrain.fr de m’avoir accordé cette interview et partagé leur vision du train en France et en Europe.
Je vous invite à consulter leur site, une mine d’or d’informations pratiques et utiles et à les encourager sur leurs réseaux sociaux, encore récents (leur compte Instagram) ou en commentaires de cette newsletter.
Quant à nous, on se retrouve dans deux semaines pour un résumé de l’actualité tourisme.
A très vite et prenez soin de vous,
🚂 Tchouuuuu tchouuuuuu !
Théo
Merci pour ce super interview, je me note les références des livres. Quand ils parlent du fait qu'on ne voit jamais de stars en train, je réponds : Patti Smith. Sur IG, elle publie souvent des photos de ses tournées où elle voyage autant que faire se peut en train.