"Les agences de voyage sont synonymes d'arnaques" et autres réflexions sur le tourisme (Interview)
Paradigme invite Charly Verchere, fondateur de Goamigo et CEO de Colombus Voyages. Il est au premier rang des transformations du secteur.
Temps de lecture : 7 minutes, un peu plus avec les sources
🔍 Ce que tu vas découvrir aujourd’hui :
GoAmigo et Colombus Voyages, deux visions, deux business models
Ses expériences, échecs et leçons de l’entrepreunariat dans le tourisme
Sa vision humaine de la communication
Son avis sur les travel designers
Le rôle des AGV dans le tourisme durable
Sa vision de l’agence de voyages du futur
Son (très bref) rapport à l’IA
Janvier 2024, un message pop dans ma messagerie LinkedIn.
Charly se présente comme le fondateur de Goamigo, “une plateforme de la traveltech”. Il me propose d’échanger sur l’avenir du tourisme.
Intrigué, j’accepte un call. D’emblée, je le trouve curieux, humble et ouvert d’esprit.
Par fierté mal placée, je ne lui dis pas. Pourtant, je suis impressionné par son CV. Bien qu’on ait le même âge, Charly a déjà fondé et dirigé deux entreprises à la réputation bien ancrée dans le secteur du tourisme.
Les mois passent. Second appel. Cette fois, on parle business. Et plus précisément, de sa vision pour Goamigo, qu’il cherche encore à affiner.
Je retrouve la même simplicité et la même envie de partager qu’à notre première discussion. Il ne m’en fallait pas plus pour me donner envie de m’intéresser au personnage et à son parcours.
Malgré son emploi du temps chargé, il accepte l’invitation.
🤓 De nombreux autres dossiers et interview du tourisme sont en accès libre sur Paradigme.
Je vulgarise toutes les deux semaines des sujets actuels du travel et ses innovations technologiques (IA, tendances, outils, startups…)
Je compte sur toi pour partager ma newsletter et inviter tous les p’tits copains à s’inscrire 🫶
🎙️Peux-tu me parler de tes différentes activités ?
L’agence Colombus Voyages a été créée par ma mère, en 1989. C’est une agence de voyages particulière, puisqu’elle s’est installée dans une ZAC*, sur 300m². L’idée était d’en faire un supermarché du voyage, avant que la concurrence ne lui mette des bâtons dans les roues.
Ensemble, il y a dix ans, on a pivoté de concept en proposant une expérience 360° à nos clients.
Je suis aussi à la tête de Goamigo. Avant Covid, la société avait pour mission de rassembler des gens qui ne se connaissaient pas autour de passions communes. Malheureusement, pour remplir des voyages, il faut dépenser des budgets monstres en AdWords et se battre contre des géants, comme Club Med ou Booking.
A la sortie du Covid, j’ai rencontré la créatrice de Santa Mila, un concept d’ateliers organisés autour de l’“ocean therapy”. À l’époque, elle souhaitait se lancer dans la création de voyages réglementés.
On l’a accompagnée sur le sujet, ce qui nous a permis d’identifier notre business model : proposer des solutions de production de voyages adaptées aux créateurs de contenus.
* Une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) est un espace où la ville décide de planifier et d'organiser de nouveaux bâtiments, routes, parcs ou commerces. Elle est conçue pour répondre à des besoins précis, comme créer des logements, des bureaux ou des équipements publics.
🎙️Côté chiffres, ça donne quoi ?
💬 Sur Colombus Voyages, notre business est découpé en deux axes : 30 % de business travel et 70 % de tourisme, permettant de générer +10M€ de chiffre d’affaires.
Avant la crise sanitaire, 70 % de notre CA tourisme était généré auprès de TO, contre 5 à 10 % à l’heure actuelle. En fait, on a abordé la COVID-19 comme une bulle de réflexion, plutôt que de céder à la panique. Lorsque les frontières se sont rouvertes, nous étions prêts à prendre le virage du sur-mesure en privilégiant les contrats en direct avec les réceptifs et les hébergements touristiques. On fait +10M€ de CA.
Sur Goamigo, on réalisait une cinquantaine de voyages par an. En 2025, nous sommes sur une trend supérieure, à hauteur de 70 voyages. On tourne autour des 400K€ de volume. Notre modèle s’est resserré : moins d’ambassadeurs, plus de voyages. Par exemple, nos photographes partenaires (Benoist Clouet, Gregory Gerault, Lionel Montico…) partent sur 5 à 7 voyages par an.
🎙️Quelles sont les entreprises qui t'inspirent ?
💬 Evaneos est la boîte la plus inspirante du secteur. Je pourrais aussi citer Staycation. Elles ont révolutionné un marché, en le retaillant à la hauteur des attentes de la nouvelle génération.
Pour y parvenir, elles ont identifié de nouvelles habitudes d’achat avant de les transformer en business. C’est ce qu’on essaie de faire avec Goamigo.
💫 Tu es entrepreneur du tourisme et tu souhaiterais partager ton quotidien ou ta vision du tourisme sur Paradigme ? Contacte-moi 💫
🎙️Quelles expériences professionnelles ont défini ta vision d’entrepreneur ?
💬 Quelques années plus tôt, je me suis associé avec l’ancien co-fondateur du site Attractive World (un site de rencontres), avant qu’on mette fin à notre relation, d’un accord mutuel et en très bons termes. On a rapidement convenu que notre collaboration était une fausse bonne idée.
Le concept de fausse bonne idée est un problème que j’ai rencontré pendant la levée de fonds. Tout le monde t’encourage… mais le business model met du temps à trouver sa chaîne de valeur idéale.
Je reconnais avoir eu du mal à trouver un business model viable. Les problématiques sont multiples : d’un côté, on a un influenceur qui ne veut pas faire payer cher sa communauté. De l’autre, une agence qui doit vivre avec des marges faibles. Et enfin, une communauté qui ne perçoit pas forcément la valeur ajoutée de voyager avec une célébrité.
Aux USA ou à Dubaï, TrovaTrip et Seek Dharma se sont penchés sur le même sujet. Ils ont levé beaucoup d’argent. Leurs modèles font rêver.
🎙️Une leçon à en tirer ?
💬 On va construire un système serein et un socle fort, beaucoup plus viable pour toutes nos équipes. L’idée est de nous recentrer sur des projets de petite envergure, rattachés à Colombus. On aimerait créer un écosystème, une constellation nous permettant de nous autofinancer.
Jusqu’à présent, j’ai été galvanisé par les retours. Mais il faut garder les pieds sur terre, sans idéaliser la levée de fond. Ce n’est pas une solution miracle. J’ai été éduqué dans un système où tout s’est fait progressivement.
🎙️Parlons métier. Comment sont perçues les agences de voyage par le grand public ?
💬 Mal. Le terme est synonyme d’arnaque, de manque de transparence, de prix élevés, de catalogue uniformisé… beaucoup de valeurs très éloignées de Colombus ou de GoAmigo. Nous devons œuvrer à changer ce paradigme.
Agences de voyage : sont-elles vraiment utiles ? 😥
⌛ Temps de lecture : 10 minutes, un peu plus avec les sources
🎙️La communication peut aider. Comment gérez-vous cette partie ?
💬 On a fini par l’internaliser. L’équipe participe au développement de notre stratégie, grâce à des échanges soutenus entre tous les services. Nos conseillers remontent les demandes clients, qui trouvent un écho dans nos campagnes de communication.
Nous avons énormément travaillé le SEO, avec un consultant (Antoine Marchal). Tout notre site est optimisé, comme nos fiches MyBusiness. On fait aussi attention à répondre à un maximum d’avis clients, tout en surveillant nos réseaux sociaux BtoC et BtoB.
Même si je crois assez fort au canal de la newsletter, j’estime que ce n’est plus suffisant pour engager une communauté. En revanche, le voyage peut galvaniser une communauté autour d’une expérience, sans qu’on parle de séjours longue durée. C’est aussi pour ça qu’il est indispensable d’avoir une identité assumée et des ambassadeurs concernés.
🎙️Tu parles d’identité assumée… comment cela s’exprime dans la comm’ de Colombus ?
💬 Récemment, on a mené un concours d’écriture. Il n’y avait aucune volonté d’aller chercher de la notoriété ou de récupérer du business. L’idée était simplement de permettre aux gens d’écrire et de poser des mots sur des émotions. À mon sens, c’est aussi pour ça que cela a marché. Le projet s’est monté avec le cœur. D’ailleurs, on a déjà annoncé la seconde édition.
Autre gros sujet qui m’importe particulièrement : on va monter une association. Même si nous n’en sommes qu’aux prémices du projet, on aimerait permettre à une famille défavorisée de vivre une immersion authentique, une fois par an.
Créer un cercle vertueux est plus intéressant que de planter des arbres, où l’on aurait du mal à gérer tous les paramètres, sans faire de greenwashing ou de se planter d’association. On veut pleinement maîtriser toute la chaîne de valeur.
💌 Si tu apprécies ce que tu lis, prends quelques secondes pour cliquer sur le bouton “j’aime”, laisser un commentaire ou partager la newsletter autour de toi : ça m’aidera à être mieux référencé. 💌
🎙️En parlant valeurs, j’ai l’impression que tu as du mal avec le débat autour des travel designers ?
💬 La problématique m’énerve parce que j’ai l’impression que la profession perd du temps à chercher qui a tort, qui a raison. Par exemple, la campagne “Stop Arnaques Voyages” des Entreprises du Voyage accuse un peu tout le monde.
Je ne vois pas en quoi un travel designer qui bosse sur Instagram pour vendre ses roadbooks dérange. Certes, il nous pique une part de business. Mais tant qu’il ne gère pas les réservations, il est heureusement – ou malheureusement – dans les règles.
À mon sens, il est même moins dangereux qu’un DMC qui pourrait venir récupérer nos clients. On perd beaucoup de temps à savoir qui est en règle alors qu’on devrait uniformiser le marché.
Aux USA, les travel designers ont vite été professionnalisés en s’adossant à des agences de voyage réglementées et à des solutions techniques. Le modèle même de l’agence de voyages est en train d’évoluer. En France, l’évolution est parasitée par des débats stériles
Je crois beaucoup aux travel designers. Je ne pense pas que travel designer = escroc. Une personne qui n’a plus envie de bosser dans une agence, qui dispose de son propre réseau de clientèle, qui rêve d’avoir son autonomie… ça, c’est un vrai travel designer ! A la différence d’une personne qui a fait deux voyages au Maroc et qui se met à créer des roadbooks.
L’idée est de trouver une jurisprudence. Je discute avec de nombreux avocats pour trouver une solution viable pour tous les partis.
😎 Ton avis m’intéresse. Fais-valoir ton point de vue :
🎙️Qu’est-ce qui définit l’agence de voyage, à l’heure actuelle ?
💬 Notre leitmotiv est le service et l’expérience qu’on va faire vivre. À partir du premier mail jusqu’au moment où le client va revenir, l’idée est de proposer un service irréprochable. On veut enlever tous les points de friction. Nous avons une énorme responsabilité, puisqu’on joue avec le budget et les vacances, pour lesquels les gens travaillent toute l’année.
C’est encore plus vrai en 2025. Le voyage est devenu anxiogène, parce que l’éruption du volcan ou la fermeture d’une frontière…
Il ne faut pas avoir peur que le voyage corresponde vraiment au voyageur. Il faut être cohérent tout en étant force de propositions. C’est un joyeux mélange à trouver.
🎙️Est-ce-que l’agence de voyage doit être responsable ?
💬 Nous avons notre part de travail pour nous rapprocher au maximum d’un voyage vraiment responsable, mais la responsabilité repose surtout sur les hôtels ou les compagnies aériennes.
Les agents de voyage sont des consolidateurs d’expériences. De notre côté, on procède à une sélection drastique pour faire voyager les personnes au plus proche des populations, en favorisant l’économie circulaire.
Pour le reste, c’est aux acteurs qui ont les moyens de payer cette transition de le faire.
🎙️Le surtourisme est-il un sujet ?
💬 Là, c’est le rôle des agences. On doit être force de propositions. Chez Colombus, on a mis en place une directrice de prod (Léa) qui est spécialiste de treks ou de solutions de voyage alternatives.
On travaille main dans la main avec des réceptifs pour trouver des petites structures, comme avec Mexikoo.
Récemment, Célia (Tichadelle) a créé Holaqueya, un exemple de réceptif au plus proche des populations, loin des sentiers battus.
🎙️À quoi ressemblera l’agence de voyages du futur ?
💬 Je ne vois pas l’agence de voyages physique disparaître. Je l’imagine plutôt évoluer vers de la conciergerie et de l’accompagnement sur-mesure, encore plus pointu que ce que l’on fait aujourd'hui.
Il est probable que des technos comme WhatsApp prennent le relais sur la relation client. D’ailleurs, on est un peu à la ramasse sur le sujet en France.
En fait, j’ai du mal avec la virtualisation de notre profession. L’expérience et l’authenticité vont rester, avec un effort accru sur l’hyper personnalisation, permis par le digital.
🎙️Quel est ton regard sur l’IA ?
💬 Justement, l’IA peut jouer un rôle à fond sur l’hyper-personnalisation. En tout cas, elle fait gagner du temps. Notre enjeu actuel est de savoir comment être référencé sur GPT et consorts.
Clairement, les solutions conversationnelles vont piquer du boulot à ceux qui réservent via Booking, comme les travel designers.
Une notification Google Agenda détourne mon attention. Une heure a passé, engloutie par nos deux profils plutôt bavards. Il est temps de retourner à nos business respectifs.
Une nouvelle fois, tous mes remerciements à Charly d’avoir pris le temps d’échanger sans langue de bois sur les sujets complexes de notre secteur.
Si à votre tour, vous souhaitez revenir sur un sujet de discussion en particulier, c’est le moment.
Sinon, on essaie de se retrouver dans deux semaines pour un résumé des actualités du tourisme.
A très vite ✌️
Théo