L'Afrique : le continent touristique mal-aimé ?🦛
Le deuxième continent le plus peuplé du monde est aussi le moins visité. Pourquoi l'Afrique peine-t-elle à attirer les voyageurs ? Je creuse la question dans ce nouveau numéro de Paradigme.
⌛ Temps de lecture : environ 10 minutes, un peu plus avec les sources
🔍 Ce que tu vas découvrir dans ce numéro :
Un point rapide sur les chiffres du travel en Afrique
Un peu d’histoire sur les origines du tourisme à destination
Les clichés qui perdurent
Les portes de sortie (écotourisme, tourisme mémoriel, développement de l’offre hôtelière…)
Si je te parle du Maroc, du Kenya, du Sénégal, de l’Afrique du Sud ou même du Botswana, ton imaginaire de voyageur fonctionne, capable de mettre des paysages sur ces noms.
En revanche, si j’évoque le Togo, la Guinée-Bissau, le Bénin, l’Angola ou la Zambie, je suis moins certain que ces destinations se concrétisent aussi facilement.
🤓 Tu t’apprêtes à approfondir un sujet lié au travel.
De nombreux autres articles sont en accès libre sur Paradigme. Je vulgarise toutes les deux semaines des sujets actuels du tourisme et ses innovations technologiques (IA, tendances, outils, startups…)
Je compte sur toi pour partager Paradigme et inviter tous les p’tits copains du travel à s’inscrire : 🫶
Que ce soit à travers ses régions du monde confidentielles ou au sein de ses zones cloisonnées parsemées de clubs de vacances, le continent africain peine à séduire de nouveaux voyageurs internationaux, malgré de belles ambitions.
Manque de soft power ? Enjeux politico-économiques ? Infrastructures encore trop fragiles ? Ou insécurité latente ?
Dans ce nouveau numéro-dossier de Paradigme, je t’invite à plonger dans les coulisses d’un continent boudé par les voyageurs internationaux : l’Afrique.
⚠️ Attention : je ne suis pas un expert de la destination. Je défriche ici un sujet qui mériterait bien plus qu’une (longue) newsletter. Si vous souhaitez compléter le dossier de vos propres expériences ou étayer des informations, faites-vous plaisir en commentaires. Par ailleurs, les voyageurs évoqués dans ce numéro sont principalement des voyageurs n’ayant aucun lien culturel ou familial avec le continent ⚠️
Pour m’aider à déchiffrer la réalité du terrain, j’ai fait appel aux lumières de Nicolas Kouame Leroy, fondateur de Wa Africa, un média-voyage dédié à la mise en valeur du continent africain, délivrant de nombreuses informations pratiques pour les voyageurs.
Tout au long de cette newsletter, il complètera mes recherches par ses remarques éclairées.
📈 Le point sur le tourisme en Afrique, en chiffres
Avant la crise de la COVID-19, la part du PIB en Afrique reposant sur le tourisme s’élevait à 7.1 %.
Trois semaines après la pandémie, le continent enregistrait une perte de revenus liée au secteur du travel de l’ordre de 55 Milliards d’Euros (Source : UNDP).
Depuis, les arrivées de touristes internationaux ont atteint 96% de leur niveau d’avant pandémie de Covid-19 en 2023, contre moins de 90% pour la moyenne internationale. Le Maroc a même établi son record de fréquentation.
Si les signaux sont bons, le chemin à parcourir est encore long.
En 2019, le World Economic Forum établissait la liste des pays africains les plus compétitifs en matière de tourisme.
Quand on regarde le classement, on se rend immédiatement compte du désintérêt majeur du tourisme de masse pour la quasi-intégralité du territoire africain.
La destination la plus populaire ? L’île Maurice, qui arrive seulement à la 54ᵉ place des destinations dans le monde.
Encore plus frappant : la onzième destination la plus touristique d’Afrique se positionne seulement en 106ᵉ place du classement mondial.
En violet : les destinations africaines :
Le World Economic Forum a attribué une note sur 10, basée sur des critères allant des ressources naturelles et culturelles aux priorités accordées au tourisme, en passant par l’environnement de travail, la sécurité ou l’hygiène.
Pour mieux comprendre le problème, remontons aux origines.
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👨🏫 Un peu d’histoire : les débuts du tourisme en Afrique
D’abord terrain de chasse privilégié pour les riches colons européens en Afrique de l’Est et en Afrique australe, le tourisme s’est progressivement diversifié pour s’implanter sur les côtes.
Pour les destinations en vogue, l’intensification des flux touristiques rimait avec le développement des infrastructures routières, ferroviaires et hôtelières.
Lors de la décolonisation, autour des années 1950 (plus tôt pour le Libéria (1847), l’Égypte ou l’Érythrée), les pays ont tenté de se réapproprier leurs territoires. Fini de privilégier les touristes internationaux, place au développement des communautés locales !
Pour autant, le rayonnement culturel n’aura jamais été aussi intense auprès de l’Occident que lors de la colonisation.
Dans ses écrits publiés en 2009 et intitulés « Découvrir l’âme africaine. Les temps obscurs du tourisme culturel en Afrique coloniale française (années 1920-années 1950) », Sophie Dulucq s’intéressait déjà aux liens entre le colonialisme et le rayonnement de l’Afrique à l’international, comme le décrit si bien le résumé de son œuvre :
« Administrateurs coloniaux, opérateurs privés et voyageurs eux-mêmes ont ainsi amorcé un processus d'invention du patrimoine touristique africain, autour de sites repérés (Tombouctou, falaise dogon, etc.) et d'activités codifiées (achats d'objets artisanaux sur les marchés, danses cérémonielles, etc.). Si peu développé qu'ait alors été ce tourisme, il a néanmoins eu des effets de retour sur les sociétés et les cultures locales et a construit des représentations pérennes de ce qui était « touristiquement pertinent » en Afrique ».
😑 Les clichés sur l’Afrique
De nos jours, les clichés ont la peau dure. Si je te dis que je prévois un voyage en sac à dos à travers l’Afrique, tu risques d’abord :
🔪 De me demander si je n’ai pas peur
💊 De t’inquiéter de ma santé
⛺ De t’interroger sur mes options d’hébergement
L’insécurité
Ces réactions sont héritées de décennies de préjugés et de méconnaissances.
Très peu abordée à l’école ou traitée dans les médias traditionnels, l’histoire du continent africain est une grande inconnue.
« La guerre, la famine, la sécheresse. Le matraquage des médias ne met que rarement en avant les richesses du continent et son accessibilité ».
Nicolas Kouame Leroy - Wa Africa
Prenons l’exemple de la Sierra Leone ou de la Guinée. L’imaginaire collectif s’arrête bien souvent aux guerres civiles d’indépendance. Même chose pour le Rwanda et le génocide.
En réalité, ces conflits ont pris fin il y a plus de 20 ans. Comme le dit Nicolas :
L’Afrique compte 54 pays. C’est comme en Europe, tu ne vas pas aller te balader partout… et surtout pas dans les pays en guerre. Tu choisis ta destination. A titre personnel, je me sens plus en sécurité à Cotonou, au Bénin, que dans certains de quartiers de Paris après 23h.
Olivia Kohler, alias Le ptit reporter, sillonne les routes d’Afrique à bord de son 4x4 depuis 2021. D’abord à deux, puis en solo, elle raconte quotidiennement ses épopées sur ses réseaux, sans faux-semblants.
Plutôt que des mésaventures, elle y dépeint une Afrique formidablement accueillante, du Ghana au Bénin en passant par la Côte d’ivoire, le Sénégal, le Maroc ou en ce moment la Namibie.
Si elle s’est payée quelques frayeurs, c’est en grande partie dû à des catastrophes naturelles ou des animaux un peu trop curieux.
Le manque de culture :
Les souks, les médinas, l’huile d’olive, la statuette de rhinocéros, le masque tribal… les éléments de la culture africaine qui reviennent dans la bouche des voyageurs sont souvent les mêmes.
Pourtant, la richesse de l’Afrique est infinie. En tout, on dénombre :
+ 1500 langues et dialectes parlés
139 biens inscrits sur les listes du patrimoine mondial
88 éléments inscrits au patrimoine vivant.
Parmi les incontournables, on trouve l’île de Gorée (Sénégal), Robben Island (Afrique du Sud), la Médina de Fès (Marc) ou les pyramides de Guizeh (Egypte).
Mais en s’aventurant en dehors des destinations les plus populaires, on tombe facilement sur de vrais bijoux comme le royaume du Lalibela (Éthiopie), les îles de Bijagos (Guinée-Bissau), l'île de Mozambique, la vallée de Sukur (Nigéria) ou le palais des rois d'Abomey (Bénin).
« Rien qu’au Bénin, il est possible de développer des circuits en étoiles autour de Cotonou, répartis sur 5 ou 6 sites stratégiques. Tu peux visiter le village lacustre de Ganvié, les sites autour de l’esclavagisme à Ouidah, la plage paradisiaque de Grand-Popo. Et si tu tombes en plein janvier, tu peux participer à la fête du Vaudou qui attire chaque année de plus en plus de monde.
Même phénomène au Cap-Vert, trop souvent réduit à Césaria Evoria. En revanche, les voyageurs connaissent moins sa superbe gastronomie, sa production viticole autour du volcan Fogo et les incroyables sentiers de randonnée de Santo Antão ».
Pour attirer de nouveaux voyageurs et rivaliser d’attractivité, les pays d’Afrique épargnés par des situations géopolitiques tendues jouent sur tous les tableaux.
🚀 Comment l’Afrique s’en sortira ?
Selon Angela Lusigi, représentative de l’UNDP au Ghana, la croissance du tourisme en Afrique repose sur trois piliers majeurs (Source) :
Des initiatives portées par des communautés locales
La préservation et le partage de la culture africaine
Le recours à la technologie pour promouvoir le tourisme et pérenniser ses traditions
Pour Nicolas de Wa Africa, c’est à peu près le même constat :
« Les gouvernements en place n’intensifient pas assez le tourisme.
Les voyageurs manquent d’informations pratiques ».
Heureusement, certaines destinations prennent les devants avec des combats et des innovations engagées parfois depuis belle lurette.
L’assouplissement des formalités d’entrée
Premier chantier nécessaire : revoir intégralement les visas d’entrée nécessaires pour les touristes étrangers.
Dernier exemple en date, le Malawi, qui a décidé d’exempter 79 pays (dont la France) au début du mois de février d’un e-visa, jusqu’alors obligatoire et affiché à 70 € par voyageur.
"Avec chaque dispense de visa, nous ouvrons la voie à de nouvelles connexions, échanges culturels et opportunités économiques qui enrichiront nos vies et autonomiseront nos communautés" annonçait Vera Kamtukule, ministre du tourisme, au début du mois de février.
Le Malawi s’inscrit dans la lignée d’une longue série d’assouplissement des conditions d’entrée.
Entre 2023 et 2024, la Sierra Leone, le Cameroun, le Burkina Faso ou le Ghana ont numérisé leurs visas, bientôt suivis par la RDC ou le Ghana. Du côté de l’Angola, du Maroc, du Rwanda ou du Kenya, on supprime progressivement sa nécessité.
Bien au-delà du tourisme, ce rêve d’une Afrique sans visas permettrait aussi à ses résidents de se déplacer librement entre ses frontières.
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Le développement de l’écotourisme
La diversité de l’Afrique est absolue et les superlatifs sont légion.
On y trouve le plus grand désert du monde, des récifs coralliens qui n’ont rien à envier à l’Océanie, la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie, des montagnes enneigées culminant à plus de 5 000 mètres, des écosystèmes marécageux répartis dans les deltas les plus vastes au monde, le second plus grand lac d’eau douce de la planète… et la liste est encore longue.
Toutes ces richesses naturelles se laissent découvrir, à condition de mettre la main à la poche. La majorité des destinations confidentielles restent encore réservées à l’ultra-luxe.
Les hôteliers rivalisent d’imagination pour proposer des écolodges bien intégrés dans leur environnement. Il suffit de jeter un coup d’œil à la marque Mantis, développée par Accor, aux lodges &Beyond ou au One&Only du Rwanda pour s’en convaincre.
Malheureusement, ces hôtels inaccessibles au commun des mortels ne peuvent suffir à assurer le développement touristique du continent à grande échelle :
Pour Nicolas, l’Afrique doit miser sur l’expérientiel :
“L’avenir du tourisme durable en Afrique repose sur les locaux, les rencontres et les partages. On peut déjà vivre de beaux moments. En Côte d’Ivoire, on peut planter son propre plant dans un champ de cacaotiers, fabriquer du chocolat et suivre tout le procédé de fabrication. Il existe des expériences similaires avec le beurre de karité au Bénin ou le mafé au Sénégal”.
Accessibles à l’aide d’agences spécialisées et de réceptifs bien informés, ces activités favorisent l’immersion culturelle tout en redistribuant aux communautés locales.
Au-delà des activités, certains pays sont devenus de véritables pionniers du secteur. Le Rwanda, par exemple, a banni depuis 2008 l’importation, la production, la vente et l’utilisation de plastique à usage unique.
La croissance du tourisme mémoriel
La traite transatlantique des esclaves est indéniablement l’un des épisodes les plus immondes de l’histoire de l’humanité. Et, une fois encore, le sujet n’est que rarement abordé auprès du grand public.
Depuis une dizaine d’années, les pays africains ont choisi de rendre hommage aux victimes et de rappeler à tous le devoir de mémoire.
Des centaines de millions de dollars ont été investis dans la rénovation de sites historiques, come celui du mémorial de Kwame Nkrumah au Ghana, des infrastructures routières autour de la porte du Non-Retour au Bénin, sur la route des Pêches, au port de Bimbia au Cameroun ou au corridor de Kwanza, en Angola.
Premières audiences concernées par ces gigantesques chantiers, les diasporas africaines établies un peu partout dans le monde, qui souhaiteraient en apprendre un peu peu plus sur leurs racines… et investir dans le développement touristique des destinations citées.
Le développement de l’offre hôtelière
Le cabinet de conseil W Hospitality Group, basé à Nigeria, s’est penché sur le sujet en publiant la 15ᵉ édition de son rapport «Hotel Chain Pipelines in Africa 2023».
Il y a étudié le nombre de projets en cours de développement, en se basant sur 45 chaînes internationales et régionales au sein des 54 pays d’Afrique.
Ainsi, on dénombre 482 projets totalisant 84 427 chambres. Parmi les destinations ciblées, le Maroc, l’Égypte, le Nigéria et l’Éthiopie se distinguent des autres destinations.
En top 10 des marques exploitantes, on retrouve tous les leaders de l’hôtellerie, dont Hilton, Four Points by Sheraton, Radisson ou encore Novotel.
Finalement, l’Afrique semble avoir toutes les cartes en mains pour séduire de nouvelles populations de voyageurs, au-delà du tourisme humanitaire, des safaris et des city-breaks en Afrique du Nord.
En reconquérant les diasporas et en accentuant leus efforts de communication, le continent pourrait s’imposer dans les années à venir comme une méga-destination à la plus grande croissance touristique.
Je serai curieux de savoir ce que tu en penses ? Comme expliqué au début de l’article, je suis loin d’être un expert de la question. J’ai plutôt gratté la surface d’un sujet de fond. Si tu souhaites compléter ce dossier ou y apporter ton propre point de vue, ton commentaires est le bienvenu !
🫶 Merci à toi de me lire deux fois par mois !
On se retrouve très vite pour un nouveau numéro de Paradigme. Pour le prochain numéro, j’aborderai un débat de premier ordre pour toute la profession du tourisme.
Je suis très pressé d’avoir vos avis sur la question 👀
A très vite sur LinkedIn,
Théo
Bonjour Theo, je viens de découvrir ta newsletter, je me régale et j'apprends pleins de choses. Et surtout les sujets que tu évoques nourrissent mes réflexions donc merci ! En particulier cette newsletter-ci qui m'intéresse au plus haut point car l'Afrique est mon continent de prédilection, l'Afrique de l'ouest en particulier et il est clair que les touristes ne se bousculent pas encore aux portes. Quand on connait ces pays (Côte d'Ivoire, Bénin, Ghana, Togo...), on a du mal à comprendre pourquoi elles n'attirent pas plus de visiteurs tant les expériences vécues là-bas sont incroyables. Ceci dit, face aux nombreux freins, que faire ? D’abord informer, communiquer, inspirer toujours et encore. Sur certaines destinations, on croule sous les infos. Sur les africaines, c'est plutôt l'inverse. C'est ce que je m'attache à faire modestement avec mon blog "le voyage du calao" depuis presque 6 ans. Et puis il faut déconstruire certains clichés. La sécurité notamment que tu évoques. L'Afrique du sud est probablement l'un des pays les plus dangereux du continent et aussi l'un des plus touristiques. A contrario, un pays comme la Côte d'Ivoire (que je connais très bien), qui a vécu une guerre civile entre 2000 et 2010, souffre toujours d'une mauvaise réputation alors qu'on s'y sent en sécurité quand on y voyage. Idem pour Cotonou citée par Nicolas Kouame. Les principaux risques sont plutôt d'ordre naturel (comme Olivia le mentionne, avec les inondations par exemple en saison des pluies) ou liés à l'état des routes. Et puis l'aspect sanitaire mais qui n'est pas forcément pire qu'en Asie (je pense aux maladies véhiculées par les moustiques par exemple). Dans les points positifs je retiens aujourd'hui l'émergence d'une industrie du tourisme locale qui vite à attirer la clientèle locale et valoriser le patrimoine. C'est un bon début. Il y a des acteurs privés très engagés qui créent des infrastructures hôtelières, des offres et se professionnalisent de plus en plus. Et puis il y a aussi le développement du tourisme mémoriel très porteur. Et du tourisme expérientiel autour des ressources naturelles (cacao en Côte d'Ivoire et Ghana, beurre de karité ,..), de l'artisanat (tissus batik par exemple, poteries), de la diversité ethnique et culturelle - qui permettent de voyager de manière très authentique. Le fait que ces pays soient encore hors des radars peut aussi devenir un atout pour ceux qui en ont marre du sur-tourisme. Il y a beaucoup d'obstacles mais j'y crois !